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Ressources, famille, patrimoine… êtes-vous vraiment obligé de répondre à votre banquier ?

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C?est un questionnaire d?une dizaine de pages recto verso, qui peut s?avérer déconcertant. Il vous demande pêle-mêle si vous êtes une personne politiquement exposée, le niveau des revenus annuels de votre foyer, le montant de votre patrimoine investi en biens immobiliers et sa répartition (en %), le degré de risque que vous êtes disposé à accepter, ou encore si vous répondez à un critère d?américanité? De quoi alimenter une certaine paranoïa, voire des soupçons d?arrière-pensées commerciales de la part des établissements. Et si les vraies questions étaient de savoir pourquoi votre banquier se montre si curieux, et ce qu?il peut bien faire de toutes ces informations ? Nous avons à notre tour interrogé l?AMF (Autorité des marchés financiers) et à l?ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution), organes de supervision des marchés, de la banque et de l’assurance. Ils nous ont tout expliqué, avec quelques surprises à la clé.

Pourquoi êtes vous soumis à ces questionnaires ?

Il ne s?agit pas d?une lubie de votre banquier. La loi oblige les intermédiaires financiers, dont les banques, à tout mettre en ?uvre pour bien connaître leurs clients et ceci pour au moins deux raisons.La première remonte au début des années 1990 et n?a fait que se renforcer depuis: la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, décrite à l?article R 561-12 du code monétaire et financier.

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La seconde, dont la crise de 2008 a montré l?urgence, découle de l?application des dispositions la directive européenne MIF sur les «marchés d’instruments financiers» depuis 2014. Les intermédiaires financiers ont le devoir de bien connaître leur client, et leur compréhension des risques afin de leur prodiguer les conseils les mieux adaptés à leur situation et éviter qu?ils ne se retrouvent dans une mauvaise posture financière en investissant dans des produits trop risqués ou qui ne correspondent pas à leur profil.

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Un nouveau questionnaire sur les finances durables Depuis le mois d?août 2022, les questionnaires doivent aborder les préférences des épargnants en matière d’investissement dans des produits d?investissement durables et responsables. En fonction des réponses obtenues, le professionnel orientera son client vers les produits les plus adéquats s?il le peut, ou l?informera qu?il ne dispose pas, ou en partie seulement, de l?offre correspondante. Ce questionnaire sera archivé afin de conserver une trace des souhaits initiaux de l?épargnant, même s?il a dû les réviser pour s?adapter à la gamme proposée et ne pas changer d?établissement.

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Peut-on vous demander n’importe quelle information ?

Ces questionnaires répondent aux exigences de la directive mais chaque établissement financier peut l?adapter en fonction notamment du profil de sa clientèle et de la gamme de produits d?investissement qu?il propose. Dans l?esprit du texte européen, pour agir dans l’intérêt du client, le banquier doit se renseigner sur sa situation financière, ses objectifs d’investissement, sa tolérance au risque. «C?est une chose que de pouvoir supporter une perte financière c’est autre chose de ne vouloir prendre aucun risque, ou seulement sur une partie de son patrimoine», explique Claire Castanet, directrice des relations avec les épargnants à l’AMF, qui insiste aussi sur la nécessité d?une bonne connaissance de la situation personnelle du client. «Si vous êtes marié, si vous avez des enfants, ou si vous pouvez avoir besoin de votre argent demain de façon très liquide, son conseil d?investissement ne sera pas le même que si vous avez 25 ans et/ou si vous voulez commencer à préparer votre retraite», poursuit-elle. Si vous affichez un profil d?investisseur dynamique, ouvert au risque, le questionnaire sera aussi plus poussé que si vous ne souhaitez que des placements sécurisés.

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Dans le cadre de la lutte contre la fraude, le blanchiment et le financement du terrorisme, le banquier doit pouvoir établir l?identité précise de son client ainsi que l?origine des fonds et leur destination. L?arrêté du 2 septembre 2009, en application de l?article R 561-12 du code monétaire et financier, dresse une liste non exhaustive des informations qui peuvent être demandées. Au titre de la connaissance de la relation d?affaires, l?article cite le montant et la nature de l?opération envisagée, la provenance des fonds? De la même manière, l?arrêté donne des pistes pour permettre au banquier d?obtenir des précisions sur la situation professionnelle économique et financière de son client. «C?est peut-être ce qui peut surprendre le plus les clients, mais c?est nécessaire car c?est grâce à cela que l?on va pouvoir déterminer si l?opération (par son montant ou son objectif NDLR) est normale et habituelle pour ce client ou au contraire, atypique voire suspecte », indique Jean-Christophe Cabotte, directeur adjoint de la LCBFT (Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme) à l’ACPR. Le texte précise donc que le professionnel peut interroger son client sur ses activités professionnelles, l?origine de ses revenus, et lui demander tout élément permettant d?estimer ses autres ressources et d?apprécier son patrimoine. «La formulation est assez générale et cela peut se traduire pour le banquier ou l?assureur par une demande de l?avis d?imposition du client», explique-t-il.

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Pourquoi me redemande-t-on plusieurs fois les même informations?

L?article R561-12, toujours, dispose que ce devoir de connaissance du client commence «avant d’entrer en relation d’affaires», et se prolonge «pendant toute la durée de cette relation d’affaires». Avec une fréquence qui n’est pas précisée par la loi, «mais qui est fonction de l’analyse du risque qui est faite par le banquier ou l’assureur», précise Jean-Christophe Cabotte. Cela va donc dépendre de l?activité du client. En clair, sans préjuger de l?illégalité de ses opérations, une personne qui réalise plusieurs transferts vers des pays considérés comme à risques fera l?objet de demandes d?informations plus fréquentes. C?est la fameuse approche par les risques. «Généralement, chaque événement dans la vie du client, par exemple la souscription d’un prêt pour l’achat d’une maison, un mariage est l’occasion de refaire le point sur sa situation. Et lorsqu’il n’y a pas eu de contact depuis longtemps, le banquier peut solliciter son client pour s’assurer que son dossier est à jour », explique Evelyne Massé, secrétaire générale adjointe de l’ACPR.

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Et chaque nouvelle intention d?investissement entraînera les mêmes effets. «Le banquier n’a pas le droit de faire de l’auto-évaluation des compétences de son client, le questionnaire lui permet d’identifier les connaissances et l’expérience du client pour lui proposer un investissement adapté. Attention l’idée n’est pas de donner l’impression au client qu’il est à l’école ni de tout contrôler. Ce n’est pas une interrogation surprise ! Mais cela permet de s’assurer qu’il est bien conscient des caractéristiques le produit et ses risques», ajoute Claire Castanet. L?AMF veille d?ailleurs à ce que l?évaluation soit faite régulièrement en procédant à des «visites mystères» dans les établissements financiers. Objectif: vérifier que les intermédiaires financiers s?inquiètent suffisamment de la bonne compréhension de leurs clients, mais aussi qu?ils les informent suffisamment de leur indépendance ou non, vis-à-vis de la gamme de produits de placements qu?ils proposent. Être commissionné est autorisé, mais il faut le préciser. Un rapport dresse chaque année le bilan de ces visites mystères.

Les questions peuvent-elles concerner mon conjoint, même s?il n?est pas client de l?établissement?

Il suffit de parcourir internet pour constater que, pour les clients des banques, la frontière entre information et intrusion est parfois franchie dans les questionnaires. Parmi les reproches réguliers: l?exigence de documents concernant les conjoints, alors même qu?ils ne sont pas clients de la banque.

Les organismes de contrôles soulignent tout d?abord qu?un certain nombre de justificatifs mentionnent d?office les deux conjoints: c?est le cas des certificats de propriété d?un bien immobilier, ou encore de la plupart des avis d?imposition, qui de facto permettent aux banquiers de capturer des informations sur le conjoint même s?il n?est pas leur client. Sans compter qu’il arrive tout de même assez régulièrement que les époux aient un compte joint, ce qui de fait, rend nécessaire la connaissance des deux personnes même si l?une d?entre elles a déposé l?essentiel de ses avoirs dans un autre établissement.

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Concernant la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, les professionnels pratiquent ce que les experts de l?ACPR appellent une «approche par les risques». Et indépendamment des opérations financières qu?elles peuvent engager, certaines personnes présentent d?office un «risque» plus élevé. La loi parle de «personnes politiquement exposées», soit les parlementaires, les membres du gouvernement, les ambassadeurs, les dirigeants d?entreprise publique, certains hauts magistrats? Il ne s?agit pas de soupçon, ni de présomption, mais de par leur position, la loi dispose qu’elles présentent un risque plus fort d?être la cible d?une tentative de corruption ou de fraude qu?un salarié lambda. «Dans ce cas, on considère qu’il faut regarder le cercle proche de ces personnes, car l’opération suspecte interdite peut ne pas avoir été réalisée directement par les personnes politiquement exposées mais par le biais de leur conjoint par exemple. D’ailleurs la loi considère que certains membres de la famille de la personne exerçant les fonctions exposées sont des personnes exposées et doivent faire l’objet des mêmes vigilances complémentaires », explique Evelyne Massé à l’ACPR. S’ils ne sont pas spécifiquement cités dans la loi, par extension, les maires des grandes communes, les élus d’intercommunalité et plus généralement toutes les personnes habilitées à passer des commandes publiques, peuvent présenter un risque de corruption plus élevé.

Que risque-t-on à ne pas répondre?

Il faut l’avouer, les questionnaires des banques sont souvent longs et pas toujours très compréhensibles. Il peut donc être tentant de ne pas y répondre ou de faire l’impasse sur certaines questions. Rien ne vous oblige en effet à les remplir. Mais avant de prendre la décision, vous devez savoir que votre silence aura des conséquences sur vos relations futures avec votre conseiller.

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Concernant vos futurs investissements: la loi impose à votre banquier de s?abstenir de vous aiguiller dans vos investissements si vous lui refusez les informations nécessaires. Certes, cette absence de conseils ne vous empêchera pas de placer vos économies comme vous le souhaitez, en toute autonomie. Mais ce sera à vos risques et périls.

Si vous décidez malgré tout de vous diriger vers des produits risqués une alerte vous sera adressée, y compris si vous opérez via l?application de votre banque sur votre smartphone, pour vous prévenir que vous n?avez ni la connaissance ni l?expérience pour vous orienter vers ce type de placements.

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En ne répondant pas, ou partiellement au questionnaire, vous vous excluez également d?office du champ de compétence du médiateur de l?AMF en cas de déconvenue. S?il peut intervenir lorsque vous estimez avoir été mal conseillé par votre banquier, il ne pourra pas être saisi si vous vous êtes mis seul dans une situation délicate. «Avant de refuser de remplir le questionnaire et de se lancer seul, il faut bien avoir ces risques en tête», alerte Claire Castanet. L’AMF appelle aussi les épargnants à être particulièrement vigilants quant au choix de leur intermédiaire financier, il doit être autorisé pour son activité. Par ailleurs, «grâce au passeport européen, certains courtiers sont autorisés à proposer des produits en France tout en étant enregistrés dans un autre pays. Ils ne sont pas régulés par l’Autorité des marchés financiers. Donc en cas de litige, il n’est pas possible de recourir au médiateur de l’AMF, voire aux tribunaux français. Il faudra expliquer ses griefs, sans doute en anglais au mieux, dans le cadre du système judiciaire du pays d’origine du courtier.»

Un millier de médiations par an Vous estimez que vous avez été mal conseillé et que les investissements qui vous ont été recommandés par votre banquier vous ont fait perdre de l?argent? Plusieurs voies de recours existent. Puisque vous êtes dans une relation commerciale, le premier réflexe est de vous tourner vers l?établissement pour lui soumettre les éléments litigieux. L?AMF recommande de faire cette démarche par écrit pour lui donner une date. L?établissement a en effet 2 mois pour vous répondre. En cas d?absence de réponse ou de réponse insatisfaisante à l?issue de ce délai, vous pouvez saisir le médiateur de l?AMF qui rendra un avis pour tenter de régler le litige. En 2022, le médiateur a reçu environ 2000 dossiers et émis 1000 recommandations pour essayer de trouver une résolution amiable. Les dossiers soumis au médiateur ne concernent pas tous les questionnaires, loin de là. Le PEA, l’épargne salariale, les ordres de Bourse et les crypto-actifs sont les thématiques les plus représentées dans les dossiers traités. Attention également, le médiateur de l?AMF n?est compétent que pour les litiges liés à des produits financiers. Il n?intervient pas sur les questions d?assurance-vie, ni sur celles liées aux relations avec les banques.

Concernant la lutte contre le blanchiment : les conséquences seront plus drastiques. L’article L561-8 du code monétaire et financier est en effet très clair: si le banquier n’arrive pas à obtenir les éléments permettant de s’assurer de l’identité de son client, il ne peut pas entrer en relation d’affaires avec le client. Et s’ils sont déjà en relation, il doit y mettre fin. Si la vérification n?est pas possible, la possibilité d?effectuer des opérations de placement via l?application mobile de sa banque, sans l?intervention du conseiller, sera également impossible. «Il s?agit d?une relation contractuelle à laquelle chacune des parties est libre de renoncer: le banquier s’il n’obtient pas les informations, mais aussi le client s’il estime ne pas avoir à répondre à ces demandes. Pour ce qui est du client, il doit néanmoins avoir à l’esprit qu’il sera en principe soumis aux mêmes demandes chez un autre banquier», relève Jean-Christophe Cabotte.

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Il arrive enfin que le conseiller financier, banquier ou assureur, connaisse bien son client mais ne comprenne pas une opération en particulier, sa pertinence économique. Bref qu?il soupçonne une opération frauduleuse. Le professionnel est alors tenu, sans prévenir son client, de faire une déclaration à Tracfin, la cellule de renseignement rattachée au ministère de l?Économie. Mais rassurez-vous, dans la très grande majorité des cas, l?enquête réalisée par leurs experts permet de lever le doute sur l?opération atypique et il ne se passe rien.

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